LES TROUBLES ANXIEUX

    Les troubles anxieux représentent les syndromes cliniques les plus remaniés au sein des dernières versions des manuels diagnostiques des troubles mentaux. Tout au long de ces 15 dernières années, les différentes pathologies liées à l'anxiété ont peu à peu quitté le vaste champ conceptuel des névroses qui reposait sur des notions psychodynamiques. 
Le terme de névrose a d'ailleurs été retiré des classifications cliniques en usage, afin de proposer des catégories diagnostiques possédant une meilleure validité sémiologique.

A. SYMPTOMATOLOGIE ANXIEUSE :

Symptômes psycho-comportementaux

L'anxiété est une émotion désagréable qui se traduit par une sensation subjective de malaise, de tension interne.

  • Les pensées de l'anxieux sont généralement centrées vers l'avenir. Il craint facilement pour lui-même ou pour ses proches. L'activité cognitive et intellectuelle est consacrée à forger des scenarii catastrophiques dont les thèmes sont des échecs, la survenue d'une maladie, d'un accident, de problèmes financiers, etc.
  • Lors de certains états anxieux aigus, le patient peut vivre des expériences de dépersonnalisation (impression de perdre son identité) et/ou de déréalisation (perte de l'intimité avec le monde environnant habituel).
  •  Les perturbations cognitives, l'inhibition de la pensée, trouvent une traduction dans l'altération des performances du sujet, lorsque existe un certain seuil d'intensité anxieuse.
  • L''inhibition anxieuse est aussi comportementale. Elle peut être dans certains cas masquée par une agitation improductive et désordonnée ou des comportements avec une certaine d'agressivité.

   Des travaux expérimentaux ont montré la courbe de la qualité des performances intellectuelles en fonction l'intensité de l'anxiété avait une forme de U inversé. Il semble exister- pour un individu devant réaliser une performance précise dans des conditions déterminées un niveau d'anxiété optimal, mobilisateur, voire créateur. Ainsi les performances sont altérées si l'anxiété est excessive, mais également lorsqu'elle est insuffisante. 

Symptômes somatiques

 Ils sont très variés et correspondent à un hyperfonctionnement du système nerveux autonome:

  •  Au niveau cardio-vasculaire : tachycardie, troubles mineurs du rythme cardiaque (notamment des extrasystoles bénignes avec pauses compensatoires qui donnent quelquefois l'impression à l'anxieux que son cœur va s'arrêter), douleurs précordiales (le patient redoute de " faire un infarctus "), modifications labiles de la tension artérielle.
  • Sur le plan respiratoire : les signes vont d'une discrète oppression à des sensations plus intenses d'étouffement, voire de " souffle coupé ".
  • Dans la sphère digestive : sensation de " boule dans la gorge " (qui gêne l'alimentation), nausées, diarrhée.
  • Sur le plan neuromusculaire : tension musculaire quelquefois douloureuse (notamment céphalées postérieures dites de " tension ", tremblements, paresthésies, bourdonnements d'oreilles.
  • Sur le plan vasomoteur : hyper sudation, pâleur, bouffées vasomotrices. 

   La présence de signes somatiques est constante lors des états anxieux. Ils sont même souvent au premier plan dans la plainte du patient, ce qui l'amène à consulter, plus souvent qu'un psychiatre, son médecin généraliste, le médecin de l'urgence ou un cardiologue.

 

B. MODELE PSYCHOBIOLOGIQUE DE L'ANXIETE :

Vulnérabilité biologique :

- dérèglement du système d'adaptation métabolique et respiratoire avec hypersensibilité à des modifications du CO2 et du pH (conséquence de l'hyper ventilation) 
- dysfonctionnement noradrénergique avec hypersensibilité aux stimuli 

 

Trouble du traitement de l'information

Devenu incapable de traiter les informations qu'il reçoit, le sujet anxieux ne peut plus agir (interruption des " plans d'actions "). L'anxiété est considérée comme secondaire à l'inhibition. 
Outre le vécu subjectif désagréable, elle comprend un véritable hyper-éveil psychique destiné à favoriser la recherche de plans d'actions, recherche qui s'avère improductive d'autant qu'il y a un traitement sélectif de l'information : les perceptions anxiogènes étant favorisées, elles concourent à l'appréciation exclusive d'un danger imminent ou incontrôlable.
- La pensée des malades s'inscrit dans un schéma de danger permanent contribuant à une vision erronée de soi et de l'environnement avec une hypersensibilité à tous les signaux de danger. 
- Les symptômes somatiques, fréquemment interprétés comme témoignant d'une maladie possiblement grave (cardiaque notamment), renforcent l'anxiété du sujet. 

   Il y aurait ainsi l'acquisition d'une vulnérabilité psychologique avec peu à peu, au gré des événements de vie négatifs des réactions émotionnelles de plus en plus autonomes de moins en moins adaptées, de plus en plus intenses, susceptibles de déclencher une alarme neurobiologique à la moindre stimulation extérieure. 
Les stratégies d'ajustement au stress s'épuisent face à ces contraintes. Les patients finissent par perdre le sentiment de contrôle sur les circonstances et sur leurs propres aptitudes à réagir. Cette faible efficacité personnelle perçue et cette attribution externe signent la faillite des capacités d'adaptation, laissant place à des schémas de danger permanent.

Théorie psychanalytique de l'angoisse

Freud a élaboré successivement deux théories de l'angoisse 
- la première théorie (1895) est économique. L'angoisse est conçue comme la résultante d'une rétention de la pulsion sexuelle, soit par répression (exigence du Surmoi), soit par insatisfaction (privation, frustration) 
- la deuxième théorie (1926) est génétique. L'angoisse reçoit un sens. Elle est le signal de l'effraction d'une angoisse automatique liée à un conflit intra-psychique. Elle alerte le Moi et provoque le refoulement du conflit. 

Alors que dans la première théorie le refoulement crée l'angoisse, dans la deuxième théorie c'est l'angoisse qui provoque le refoulement. Malgré cette contradiction, ces deux approches peuvent être articulées, comme a pu le montrer Laplanche.

Après Freud, de nombreux auteurs ont apporté leurs propres contributions. Bowlby a montré que, lorsqu'un bébé est séparé durablement de sa mère, il développe successivement trois types de réactions : protestation, désespoir, détachement. Ultérieurement, D.F. Klein a proposé une compréhension de l'attaque de panique inspirée des travaux de Bowlby, la crise anxieuse correspondant à une phase de protestation par rapport à une angoisse de séparation inconsciente.

 

C. TROUBLE PANIQUE ET AGORAPHOBIE :
Le trouble panique : est individualisé depuis une période récente (1962). Il consiste en la répétition de crises aiguës d'angoisse ou attaques de panique. L'attaque survient sans prévenir, sans circonstance déclenchante particulière. Elle dure moins d'une heure, le plus souvent une dizaine de minutes tout au plus. Les signes somatiques d'anxiété sont au premier plan. Le vécu subjectif est extrêmement pénible, le patient a peur de mourir ou de devenir fou.

L'agoraphobie : se définit comme une " crainte de se retrouver dans des endroits ou des situations d'où il pourrait être difficile de s'échapper ou dans lesquels on ne pourrait pas trouver de secours en cas de survenue brutale de symptômes ".
Les conséquences en sont une diminution progressive du périmètre d'autonomie, une limitation des déplacements ou un besoin d'être accompagné. Les situations génératrices d'agoraphobie correspondent habituellement au fait de se retrouver seul, en dehors de son domicile, d'être dans une foule ou dans une file d'attente, sur un pont ou dans un moyen de locomotion. 
En fait, l'agoraphobie peut être considérée comme la peur d'avoir peur. Peur d'avoir une attaque de panique, peur de l'insécurité, de la non-maîtrise de la situation et de la perte de contrôle.

 

D. LE TROUBLE ANXIEUX GENERALISE :
C'est la forme d'anxiété qui a été parfaitement décrite il y a plus d'un siècle par Freud sous le terme de névrose d'angoisse. Il existe un fond permanent d'anxiété d'intensité modérée, souvent émaillé de crises aiguës d'angoisse. Assez fréquent, il concerne deux fois plus souvent les femmes que les hommes. Seulement 10% des patients souffrant de ce trouble consultent. 
En fait, il s'agit d'un concept encore assez flou, aux critères peu précis, probablement hétérogène.

Il semble y avoir une nature hétérogène de l'anxiété :
Anxiété 1 --------> Attaque de panique (réponse aux antidépresseurs)
Anxiété 2 --------> Anxiété généralisée( réponse aux anxiolytiques)

EPIDEMIOLOGIE DES TROUBLES ANXIEUX :
Prévalence entre 2 et 3% pour le trouble panique ( > 2 chez la femme) ; de 3,5% pour l'agoraphobie ; de 5% pour le TAG.

EVOLUTION ET PRONOSTIC :
L'évolution du trouble panique et de l'agoraphobie est le plus souvent chronique ; plus de deux tiers des patients demeurant symptomatiques après 2 ans d'évolution.
Malgré un certain degré d'amélioration symptomatique 60 % des malades sont encore suivis après 6 ans d'évolution. Le handicap psychosocial est marqué avec une surconsommation de soins, des explorations médicales et des traitements inadaptés. Importance de la nécessité d'un diagnostic précoce et  d'une stratégie thérapeutique efficace.
Comorbidité : Un syndrome dépressif majeur survient dans près de la moitié des cas. Les conduites suicidaires sont largement présentes pendant la maladie, retrouvées dans 20 à 40 % des cas. Le risque est majoré en cas de dépression associée dont il ne dépend pas exclusivement, le taux de suicide chez les paniqueurs non déprimés étant comparable à celui observé chez des déprimés. 

 

E. LA PHOBIE SOCIALE :

Définie par la peur persistante de situations sociales dans lesquelles le sujet est exposé à l'observation d'autrui et dans lesquelles il craint d'agir de façon humiliante et embarrassante. 

Sémiologie

- Situations de prise de parole et d'interventions formelles (cours, conférences, prise de parole en réunion, etc.). Le sujet peut connaître une anxiété sociale de performance (70% des cas).

- Situations de parole et d'interactions informelles (rencontrer des personnes inconnues, bavarder avec des voisins, prendre un repas avec des personnes plus ou moins proches). Le sujet peut connaître une anxiété sociale d'intimité (46% des cas).

- Situations où il s'agit de s'affirmer et défendre ses droits (exprimer son désaccord, refuser, faire une demande, donner son avis, critiquer). Le sujet peut connaître une anxiété sociale d'affirmation de soi ( 31% des cas).

- Situations où l'on est soumis au regard de l'autre (effectuer une tâche, manger, boire, marcher). Le sujet peut connaître une anxiété sociale d'observation (22% des cas).

EPIDEMIOLOGIE :
La phobie sociale est une des pathologies mentales les plus répandues. Sa prévalence vie entière est probablement plus élevée que celle de la dépression. Les études plus récentes suggèrent une prévalence de l'ordre de 14%. 
Dans la plupart des études, le sex. ratio est à peu près équilibré entre hommes et femmes. Cette répartition différencie la phobie sociale des autres troubles phobiques, où les femmes sont sur représentées.

La comorbidité : Les pathologies les plus fréquemment associées sont la dépression majeure (68%), l'agoraphobie (45 %), mais aussi l'abus et la dépendance à l'alcool (19 %, et même 40% dans certaines études) et la toxicomanie (13 %). 
Cette comorbidité, souvent au premier plan de la symptomatologie, masque volontiers le trouble causal et contribue ainsi, par manque de stratégie thérapeutique appropriée, à le chroniciser. Ceci pourrait être particulièrement vrai pour l'alcoolisation. La chronologie est caractéristique : phobie sociale, suivie de dépression, puis compliquée d'alcoolisme. 
Malgré sa fréquence et en dépit du handicap social dont cette affection est grevée, moins d'un quart des patients reçoit un traitement approprié. 

 

F. LES TROUBLES OBSESSIONNELS ET COMPULSIFS :

1) ÉPIDEMIOLOGIE : 
Si le TOC a longtemps été considéré comme une maladie mentale rare, avec une fréquence située autour de 0,05 %, les études actuelles révèlent une fréquence du trouble 50 à 100 fois plus élevée. 
On trouve actuellement une prévalence de 2 à 3 % si l'on considère la vie entière. 
Ainsi, les TOC se situeraient actuellement au quatrième rang en terme de prévalence des maladies mentales derrière les phobies, les toxicomanies et les troubles thymiques. 
Prévalence en population psychiatrique 16,8 % présenteraient un syndrome obsessionnel-compulsif.

2) SYMPTOMATOLOGIE :
Les T.O.C. se divisent en obsessions et compulsions.
Les obsessions sont des idées, pensées, impulsions récurrentes et persistantes, éprouvées comme absurdes, involontaires, mais faisant irruption dans la conscience. Le sujet fait des efforts pour ignorer, réprimer, neutraliser ces pensées.
Leurs thèmes concernent souvent la saleté, la contamination, les maladies, la souffrance et la mort ; très fréquemment le sentiment de responsabilité vis-à-vis d'un accident ou de la mort par peur de perdre le contrôle de soi ( ex phobies d'impulsion). 
Les compulsions sont des actes répétitifs, ritualisés et intentionnels, se déroulant selon un rite particulier, que le sujet accomplit dans le but de diminuer l'angoisse, ce qui amène pour lui- même et son environnement un véritable parasitage du quotidien.

3) FORMES CLINIQUES :
Quatre formes majeures sont décrites :
- Les laveurs (rituels de lavage avec obsessions phobiques de contamination ou de souillure).
- Les vérificateurs (obsessions de doute et d'indécision avec des compulsions de vérification).
- Les obsessionnels-impulsifs (obsessions impulsives avec lutte anxieuse compulsive à type de répétition).
- Le syndrome de lenteur primaire (lenteur excessive dans les activités quotidiennes). 
Spectre élargi des obsessions-compulsions
Des études suggèrent la présence probable d'un continuum entre TOC et troubles du contrôle des pulsions :

La personnalité impulsive avec crises de colère et d'agressivité récurrentes, achats compulsifs.

Troubles somatoformes, dysmorphophobie, dépersonnalisation, hypochondrie.

Troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie).

(En raison de la forte comorbidité, des ressemblances phénoménologiques et de la réponse de ces syndromes aux agents sérotoninergiques).

4) EVOLUTION :
80% des patients présenteraient une évolution chronique Actuellement on note une amélioration clinique importante chez 60 % des patients traités par IRS sélectif ou non. Posologie souvent très élevée, au-dessus des doses antidépressives. Réduction des symptômes à partir de 8 à 12 semaines. Mais les études sur le suivi à long terme indiqueraient un diagnostic  tardif et des thérapeutiques mal adaptées.
Comorbidité
: TOC et éléments psychotiques :10% (suspecter un TB) ; Schizophrénie et TOC 20 à 25% ; Trouble anxieux :20% en moyenne ( phobies) ; Troubles dépressifs 30%( suspecter un TB).

5) MODELE PSYCHOBIOLOGIQUE :

Certains facteurs biologiques en cause dans la survenue de la maladie sont actuellement clairement individualisés. Il y aurait une anomalie dans le fonctionnement du système sérotoninergique. Les recherches dans le domaine neuroanatomique ont permis d'identifier des régions cérébrales particulièrement impliquées dans cette pathologie (lobes frontaux).

Toute une série d'études a montré que les pensées intrusives n'étaient pas l'apanage des patients : 80 % des sujets de la population générale présentent des idées intrusives dont le contenu n'est pas sensiblement différent de celui des malades OC mais qui sont moins fréquentes, moins durables, plus facilement rejetées.

On peut penser que chez les patients OC il existe, outre la vulnérabilité biologique, une vulnérabilité cognitivo-affective. Par rapport aux sujets normaux, ils jugent de manière irrationnelle leurs pensées intrusives.

L'impact émotionnel des pensées intrusives chez le patient OC résulterait des systèmes irrationnels de croyance qui le responsabilisent à l'extrême (on pourrait retrouver ici le Surmoi sévère, l'intériorisation d'injonctions parentales rigides visant le contrôle des actes et de leurs conséquences). Interprétant la survenue et le contenu de la pensée intrusive comme l'indication qu'il peut être responsable d'une catastrophe pour lui-même ou pour les autres, il essaie de neutraliser cette pensée. La neutralisation par les rituels cognitifs ou comportementaux réduit le sentiment de malaise mais augmente la récurrence de l'idée intrusive. Les rituels deviennent eux-mêmes obsessionnels, créant ainsi une véritable dépendance au rituel qui entretient le trouble.

G. LES PATHOLOGIES ANXIEUSES A HANDICAP MOINS SEVERE :

 

 

Bibliographie :